Annexes

Ruisseau qui s'écoule dans le caniveau. Les pleurs du ciel recouvrent la ville. Chaque coin d'ombre est rendu plus obscur par la nuit qui s'épaissit. Tandis que certains s'éveillent ou rejoignent Morphée, d'autres ne dorment jamais.

Chaque quartier a son animation : bruits d'electro s'échappant d'une entrée aux néons en lambeaux, rires gras et échauffourées d'un bar décomplexé, silence pesant d'une ruelle de meurtrier... Parapluies noirs ou gris, têtes joyeuses ou aigries, fiertés amères ou meurtries, la pluie s'étend sur tous.

Dans la ville, humains ou êtres sans horizon jouent les jeux qu'on leur a appris. Tous marionnettes d'un destin dont personne ne perçoit les fils. Crépitements... l'eau martèle : l'asphalte, les crânes, les immeubles anthracites, les tombes des cimetières et elle fait vibrer de mélancolie jusqu'aux rats qui se goinfrent des détritus qui coulent à flots dans leurs antres.

Des affrontements physiques ou mentaux couvent tandis que chacun cherche à tirer la couverture à lui ou à sauver les égarés. Les pions sont déplacés, des pièces entrent en jeu, d'autres sont éjectées tombant têtes bêches sur le bord de l'immense plateau qu'est la ville.

Chaque araignée solitaire tend ses fils tandis que bourdonnent les mouches sur les charniers des corps et des esprits tombant dans la folie. Les mouches ne tombent pas toujours dans les toiles et les araignées sont souvent écrasées.

*Alexandre aimait la pluie qui dégoulinait sur son visage. Elle lui offrait les réminiscences de sentiments déchus. Son costume s'imbibait de l'eau grise dont le poids n'entamait en rien la silhouette du vampire. Les rues se vidaient toujours lors des chutes d'eau et la solitude portait à réflexion*

*Toutefois, Alexandre cherchait l'étincelle aigre-douce de la vie d'un œil distrait et pernicieux. Il s'attarda longuement sur un couple de vieux humains sous un parapluie à pois mais continua sa route après l'éternuement intempestif du papy moustachu*

*Les affaires se portaient bien. La pensée lui vint en voyant à un coin de rue, un revendeur donné un paquet de blanche à une junkie à l'air émacié. Peut être, dans un de ces récits chevaleresques auraient-ils dû faire subir quelques tourments à l'être encapuchonné et à sa dope mais les chevaliers étaient à son sens des imbéciles*

*La junkie s'était trainer un peu plus loin dans la ruelle pour s'injecter sa dose. Les tags du coin manquaient singulièrement de classe, plutôt des barbouillages synonymes de signatures. Le revendeur le regarda passer avec une marque de mépris, sans doute dû à ces vêtements qui différaient de ses codes vestimentaires*

*Alexandre lui adressa un précieux sourire qui devait paraitre carnassier car l'homme passa un peu trop rapidement à autre chose. Tout à coup, le vampire renifla alentour, les sens en éveil, il regarda en haut des grands immeubles délavées*

*D'instinct, il se campa en arrière puis il se relaxa. Son regard vert s'attarda sur la façade. Au troisième étage, une lumière était encore allumée. Ce n'était pas ce qui l'intéressait. Il poussa la porte en revêtement plastifiée qui s'ouvrit sans mal. Après quelques pas, le goût de l'asphalte mouillée décrut de son odorat*

*D'un geste éculé, il se frotta les manches bien inutilement au vu de la masse aqueuse coincée dans le tissu. Il décida de l'enlever pour ne dévoiler que sa chemise blanche légèrement détrempée posant le costume sur son bras gauche. Son index droit se porta à la rencontre de l'interrupteur de l'ascenseur qui s'éclaira doucement*

*C'est après être rentré dans l'ascenseur et avoir dépassé le troisième étage que l'odeur sucré et métallique caressa ses narines. Alexandre porta l'index à sa bouche puis laissa de nouveau son bras glissé le long de son corps*

*Au septième étage, l'ascenseur s'ouvrit sur un couloir obscur. Les chaussures cirés du vampire frottèrent sur l'espèce de lino, la porte en face n'avait aucun intérêt et il se laissa guider jusqu'à celle de gauche. La nuit était calme, il devait toutefois y avoir un chat dans l'appartement adjacent d'après l'odeur et le léger raclement d'une bête en éveil*

*Se retrouvant face à la porte en bois dur de son objectif, Alexandre effectua une pression sur la sonnette. Après quelques dizaines de secondes, il appuya une nouvelle fois. Un oeil se ficha dans l'oeilleton d'après la réfraction de la lumière et l'odeur grisante qui emplissait l'atmosphère*

*La porte s'entrouvrit bloqué par une chainette. Le quart d'un visage à le peau d'albâtre d'une trentaine d'année pourvu d'un oeil brun ensommeillé, une nuisette à froufrous, et un bout de pied nus apparurent dans l'entrebâillement*

- Que se passe t'il ?

*La voix oscillait entre l'inquiétude d'une nouvelle grave et la peur d'un inconnu. Alexandre avait une certaine prestance et différait quelque peu dans son apparence d'un voyou mais la méfiance était inné chez tout humain en particulier aux heures indues. Alexandre usa de sa voix velouté tout en fichant ses yeux profonds dans ceux de la jeune femme*

- Madame, excusez moi de vous importuner mais un problème vient de surgir séance tenante. De l'eau coule dans ma cuisine et Monsieur Levallois le propriétaire assure que cela vient de votre appartement. Je le crois aussi vu la position réciproque.

*Les mensonges étaient faciles, toute l'astuce consistait en une pesante assurance, l'anticipation de la scène, quelques détails qui paraissent congrus et si possible, mais ce n'était pas le cas à présent, ayant une once de véracité. La jeune femme aux traits fins bien que marqués de fines ridules aux yeux porta son regard en arrière comme si elle allait découvrir une inondation avant de les reporter sur Alexandre*

- Je ne crois pas, je n'ai jamais eu... de... soucis.

*Alexandre marqua une feinte compréhension, sa posture détendu*

- Oh, c'est fréquent bien que c'est la première fois que cela se produit dans mon appartement. Vous savez l'eau peut fuire goutte à goutte sous un lavabo ou une baignoire après qu'un gros orage soit passé.

*La jeune femme regarda alentour, ouvrant la porte après quelques paroles*

- Attendez un instant.

*Ses seins transparaissaient sous le tissu léger et il put voir en entier ses épaules menues, son visage charmant et ses fines jambes. Il se contint toutefois la mine grave, attendant l'invite qui ne tarda pas à venir*

- Si vous voulez entrer pour vérifier.

*Il inclina la tête et lui sourit*

- Je déteste ces incessants orages, il arrive toujours ce genre d'incidents avec les anciens bâtiments.

*Civilité mondaine était mère de sureté, elle referma un peu la porte derrière lui en le dirigeant vers la salle de bain. Quelques paysages s'attelaient sur les murs tandis qu'il traversait un court couloir. Un vieux meuble avec une clé dans le tiroir du haut semblait bien le seul objet presque vivant à la ronde*

*Alexandre aimait prendre son temps, c'était le plaisir de la chasse, la voie du bon chasseur. La jeune femme sentait encore quelques effluves de fleurs de la journée mais son sang enivrait le vampire recouvrant tout. Elle lui jeta un regard incertain après avoir ouvert la salle de bain et que ses yeux croisèrent les siens, elle les baissa aussitôt*

- C'est là.

*Alexandre était proche dans la sphère quasiment intime de la jeune femme, il s'en détacha pour rentrer dans la salle de bain faisant mine de la passer en revue. Un lavabo anodin en émail blanc à droite, une baignoire au fond et les habituels objets de toilettes s'étalant sur une table basse en bois et sur un promontoire au dessus du lavabo et en dessous d'un miroir*

*Le vampire fit mine de se baisser observant en dessous du lavabo et aux abords de la baignoire. Il tapota du doigt la colonne de métal puis envoya un regard interloqué vers la jeune femme qui se trouvait vers la porte. Elle semblait le détailler tandis que son costume trainait par terre tandis qu'il était baissé. Il fronça le nez semblant désappointer*

- Apparemment, il n'y a rien...

*Son regard se porta de nouveau vers le lavabo puis il se releva. Il la surplombait d'une demi-tête et lui sourit*

- Excusez-moi, apparemment nous nous sommes trompés à moins que le problème se trouve entre les deux étages. Je suis désolé de vous avoir dérangé si tard, je vais retourner dans ma grotte marine.

*La jeune femme esquissa un demi-sourire, les excuses et l'humour léger pouvait retourner n'importe quelle situation, la fixant sous de meilleurs auspices*

- Je vous en prie, si je peux faire quoi que ce soit.

*Alexandre imagina bien les nombreux services qu'elle pouvait rendre mais c'était là de l'humour implicite et tout masculin qu'elle n'apprécierait pas. Il inclina la tête et passa tout près d'elle, coincée qu'elle était entre son corps et l'encadrement de la porte*

- Excusez-moi.

*Alexandre sentit le rouge venir au visage de la jeune femme et le sang n'en était que plus palpable, il s'arrêta la bloquant presque. Son regard se figea dans le sien, elle avait quelques paillettes vertes dans sa prunelle*

- Il... il n'y a pas de...

*Elle ne termina pas complètement sa phrase sous la surprise des lèvres d'Alexandre qui venait de s'apposer légèrement dans son cou. Le parfum mielleux, acerbe et métallique affleurait. Les mains de la jeune femme appuyèrent très légèrement sur son torse comme si elle voulait l'écarter mais sans réel résistance*