Ankh L'Immortel
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Ankh L'Immortel

Fictions et fanfictions...
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 A la sortie de l'opéra...

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petite-poupee

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MessageSujet: A la sortie de l'opéra...   A la sortie de l'opéra... EmptyDim 8 Aoû 2010 - 14:13

Ci-dessous, vous pourrez lire ma nouvelle vampirique

"A la sortie de l'opéra"


Vous pouvez également la découvrir illustrée
par diverses photos
ici:



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Bonne lecture !


Dernière édition par petite-poupee le Lun 9 Aoû 2010 - 14:44, édité 1 fois
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petite-poupee

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MessageSujet: A la sortie de l'opéra... Les 11 premiers chapitres ...   A la sortie de l'opéra... EmptyDim 8 Aoû 2010 - 17:01

Chapitre I


Seule, elle erre dans les rues désertes à cette heure si tardive. Sa longue robe élimée traîne derrière elle, souillée par la boue.
En ces temps éloignés, peu de chances pour elle de survivre au-delà de trente ans avec la maladie qui la ronge et l'incendie qui a emporté sa modeste habitation, la laissant sans-le-sou et sans espoir.
Elle recueille quelques pièces ici et là, priant pour que Dieu ne l'abandonne pas et qu'elle ait peut être la chance de trouver un travail dans quelque échoppe ou maison de nobles, même si, malgré son état, elle a du mal à supporter des heures de dur labeur.
Elle n'a plus vraiment de raisons de vivre, sa famille ayant été emportée dans les flammes avec tout ce qu'elle possédait, mais elle surmonte quand même sa douleur grâce à quelques petits plaisirs simples qu'elle a su trouver dans sa morne existence.
Ainsi, en cette nuit particulièrement glaciale de fin d'automne, elle s'assied sur les marches de l'opéra, comme à son habitude.
Ce lieu si magique qui la fait rêver depuis tant d'années, avec ses mélodies envoûtantes, ses chants lyriques venus du ciel et ses symphonies grandioses, arrive à lui faire oublier la triste réalité.
Recroquevillée sur ces marches froides, elle se laisse bercer par tous ces sons qui arrivent à traverser les murs. Elle en oublie ses sombres pensées, pour rejoindre les arias célestes des musiciens enjoués.
Ce soir-là, s'attardant jusqu'à la sortie des spectateurs pour admirer tous les beaux atours multicolores de brocarts, dentelles, rubans, fourrures et bijoux des riches notables de la ville, un homme vint lui parler.
Elle ne comprit pas d'abord qu'il lui avait adressé la parole, perdue encore dans ses rêves de soieries, pensant qu'il n'était qu'un de ses songes tant son visage paraissait irréel, voire fantomatique.
- Vous désirez un écu ma belle enfant? Répéta-t-il.
Elle ne pouvait pas articuler un mot tant elle été hébétée et en même temps ravie qu'on l'appelle ainsi, ne pensant plus être appelée de la sorte un jour. Elle avait tellement le sentiment d'être loin de l'enfance et de la beauté qu'elle sentait déjà son corps se décrépir.
- Ou...oui mon bon Seigneur, je vous en serai éternellement reconnaissante! Parvint-elle à articuler tant bien que mal.
- Je n'étais pas sûr que vous mendiiez, je ne voulais pas vous offenser. Vous sembliez juste...perdue.
- Je restais en fait ici un moment pour écouter les bribes de musique que mes pauvres oreilles arrivent à saisir. Mais quelques pièces aideraient bien ma misérable vie, mon bon Seigneur.
- Voyons, aucune vie n'est misérable ma belle enfant. Nous trouvons tous notre utilité dans ce monde.
De nouveau ce doux nom la fît sursauter, son coeur se réchauffa malgré le givre qui commençait à recouvrir les marches. Cependant, une tristesse incommensurable l'envahit au même moment, sentant le fossé immense entre leurs deux personnes.
- Pourtant il semble si cruel, nous laissant démunis, tant et si bien que nous nous sentons absolument inutiles.
- Oui, je sais bien que la dureté de la vie existe, je ne me voile pas la face, mais chacun peu trouver quelque part un peu de réconfort. Regardez, vous semblez particulièrement apprécier la musique pour rester aussi longtemps dehors par ce froid, elle doit vous aider à surmonter vos difficultés.
- Oui, je l'adore en effet, mais je n'ai cependant nulle part où rentrer, je préfère il est vrai rester ici plutôt que de me réfugier sous un porche ou un pont humide. J'arrive quelque peu à oublier ma triste condition lorsque je suis ici, et, surtout, à rêver, c'est ce qui me tient en vie...


Chapitre II

- Vous me semblez bien lucide pour votre jeune âge, ma chère.
- Je ne suis pas si jeune, vous vous méprenez. Enfin, peut-être en apparence... Mais j'ai l'impression d'être vieillie par tout ce que la vie m'a fait endurer, comme si, en une année, il s'en passait dix!
- Je vois très bien ce que vous voulez dire. Le temps n'est effectivement pas toujours perçu de la même façon par tout le monde. Il est certain que le chagrin ne nous aide pas à faire passer les années plus rapidement, bien au contraire!
- Vous semblez si triste vous aussi, cela se ressent dans vos paroles et votre regard. D'ailleurs, vos yeux ont l'air translucides, comme si leur couleur avait été diluée par trop de larmes.
Un frisson glacé lui descendit le long du dos au moment où elle prononçait ces paroles. Cela en était terrifiant et agréable en même temps. Elle n'avait jamais ressenti une sensation si étrange auparavant.
- Vous lisez en moi comme dans un livre ouvert.
Il paraissait gêné, mais agréablement surpris.
- Veuillez me pardonner, je ne voulais pas vous paraître indiscrète ou impolie, je n'aurais pas dû vous dire cela.
- Il n'y a aucun mal, très chère, vous avez le droit de me dire vos impressions, je n'en suis point offensé. D'ailleurs, rares sont les personnes qui parviennent à tomber juste, les gens voient très peu au-dessous de la surface, de plus, je me suis créé une sorte de carapace, la tristesse est très mal vue dans la haute société, il faut toujours paraître enjoué et rieur si l'on ne veut pas être qualifié de "marginal".
- Cela doit effectivement vous peser énormément de dissimuler tout le temps votre vrai visage... enfin... vos émotions je voulais dire. Pardonnez-moi, je suis troublée.
Elle savait au fond qu'elle pensait à "visage", sans savoir pourquoi...
- Ce n'est rien, mais il semble que vous percevez réellement plus sur moi que je ne le pensais, cela m'intrigue, mais dès que je vous ai vu assise ici j'ai senti que vous aviez quelque chose de différent, cela doit être grâce à ça que vous discernez si bien l'âme des gens. Je ressens également énormément de tristesse en vous, elle coule dans vos veines, c'est sûrement aussi la raison qui, inconsciemment, m'a poussé à vous aborder, la douleur rapproche peut-être les individus qui la supporte en permanence.
- Il est possible, il est vrai, que Dieu puisse faire une telle chose pour nous faire comprendre que nous ne sommes pas les seuls à souffrir, pour que l'on ne s'apitoie pas sur notre triste sort, car il y a certainement quelqu'un qui vit bien pire ailleurs.
- Ma belle, je ne pense pas que Dieu ait quelque chose à voir avec cela, je pensais plus à la Destinée, sans fondamentalement la rattacher à Dieu, mais s'il s'agissait de Dieu, peut-être que tout serait tellement plus simple...
- Etes-vous athée mon Seigneur?
- Ahahah!
Son rire lui transperça les os tel un vent d'hiver mais résonna dans son coeur semblable à une douce mélodie, cela lui donna une sorte de vertige, si bien qu'elle en perdit la notion du temps et de l'espace.
- Ma belle... ma belle... vous vous sentez bien?
Elle eut un sursaut, comme lorsque l'on s'éveille d'un rêve.
- Pardonnez-moi, j'ai eu une sorte d'absence.
- Avez-vous assez mangé? Vous semblez faible.
- Non, pas depuis hier soir.
Murmura-t-elle, en se rendant de nouveau compte de sa misérable condition avec une angoisse qui lui serra le coeur.
- Ma pauvre enfant, permettez-moi de vous inviter en ma demeure pour vous restaurer quelque peu.
- Je... Je ne sais pas, ce ne serait pas correct, je ne suis pas de votre rang, je suis déjà amplement heureuse que vous m'adressiez la parole, les gens de votre condition ne lèvent même pas les yeux sur moi en temps normal.
- Oubliez les conventions voyons. Nous sommes presque deux personnes identiques quelque part, nous avons vécu des choses similaires.
- Ce ne serait pas convenable et...
- Quoi donc? Vous avez peur, c'est cela?
- N... non... Mais...
- Je le sens, vous avez peur que je ne sois quelque homme malveillant. Je vous promets que vous pourrez partir dès que vous le souhaiterez, je ne fermerai même pas la porte à clé si cela peut vous rassurer. Fiez-vous à vos impressions, je suis sûr que vous en avez très envie au fond.
Elle sentit ses joues s'empourprer sans savoir pourquoi, enfin si, elle le savait mais ne voulait pas se l'avouer. Cela lui semblait si loin le jour où elle avait cru avoir le droit d'éprouver ces sentiments. Du moment où elle perdit sa famille, elle s'enferma dans un deuil permanent, ne pensant plus que l'amour pourrait de nouveau lui être accordé un jour, elle pensait que le seul fait d'avoir survécu aux siens était un pécher et que sa tristesse inaltérable ainsi que sa vie misérable étaient sa seule façon d'expier. Mais, ce soir, elle se sentait presque coupable de ressentir cette émotion si soudaine, surtout que tous les séparaient, elle ne devait plus y penser, c'était absurde. Pourtant...
- Alors... J'accepte. Dieu vous bénisse pour votre immense amabilité!
Elle avait conscience, au fond, qu'elle n'aurait pas pu refuser son offre, comme si son avenir en dépendait. Encore une de ces intuitions qui lui arrivaient si souvent, si seulement elle avait su que celle qu'elle avait eu concernant le malheur de sa famille allait s'avérer exacte.
- Suivez moi, je vais nous trouver un fiacre, je crains que vous ne vous évanouissiez en chemin si nous partons à pieds.
Effectivement, le froid l'avait tellement engourdie qu'elle ne sentait presque plus ses jambes, pourtant elle ne s'en était pas aperçue. Le manque de nourriture et la maladie l'avait affaiblie il est vrai, mais elle savait que ce n'était pas la cause de sa faiblesse ce soir, elle se sentait plutôt comme envoûtée, de la même façon qu'elle l'était quand elle voguait dans ses douces rêveries.
Et c'était agréable... si agréable...


Chapitre III

Ils montèrent dans le fiacre, les rues étaient désertes à cette heure-ci, seuls quelques chats errants s'enfuyaient au passage des roues brinquebalantes sur le pavé humide. Ils semblaient perdus dans le dédale des rues sombres, ou peut-être en étaient-ils les gardiens? Plus ils avançaient dans les ténèbres épaisses, plus elle avait l'impression de se rapprocher d'un monde inconnu.
- Vous semblez songeuse. Si vraiment vous souhaitez partir, je peux arrêter le cocher.
- Non, ne vous inquiétez pas, je vous accompagne toujours, je songeais juste à ces rues, elles ont l'air particulièrement inhospitalières en cette heure tardive, elles semblent mener en quelque étrange royaume.
- Elles y mènent vous verrez...
- Que voulez-vous dire?
- On peut tous atteindre les royaumes de nos rêves.
- Si seulement...
- Ne soyez pas si pessimiste.
Elle n'osa plus parler pendant un moment, intriguée par les étranges paroles de sa mystérieuse rencontre. Elle se demanda encore si ce n'était pas une erreur de l'accompagner ainsi à l'aveuglette, elle avait entendu tant d'histoires sur certains nobles et leurs penchants pervers colportées par les autres mendiants. Cependant, elle n'avait toujours pas peur et ne regrettait pas d'avoir suivi cet homme, elle savait que son destin était de l'accompagner quoi qu'il puisse lui arriver. De toute façon, elle n'avait plus rien à perdre... si ce n'est sa pureté. Quitte à mourir, elle ne pensait de toute façon pas qu'on puisse la faire souffrir plus qu'elle ne souffrait déjà.
Absorbé par ses pensées, l'homme ne disait mot lui aussi. Elle eut tout le loisir d'observer plus attentivement son mystérieux bienfaiteur. Sa sublime veste de brocart luisait par moments dans l'obscurité, si bien qu'elle semblait faite de fils d'étoiles, la soie de sa chemise étincelait sur son visage, tous ses vêtements paraissaient avoir une luminosité propre, accentuant l'étrangeté de sa personne. Elle n'avait d'ailleurs pas encore osé s'attarder sur les détails de son visage, si troublée qu'elle l'avait été par ses yeux. Il s'était tourné vers la fenêtre opposée à elle, elle pouvait donc admirer à loisir sa longue chevelure auburn aux reflets dorés. Elle eût soudain envie d'y plonger ses mains pour laisser courir ses doigts à travers les mèches, en ressentir le soyeux et la douceur, puis enfouir sa tête au creux de son cou, juste là, près de la jugulaire pour sentir son coeur battre, ressentir le tristesse de cet homme pulser à l'unisson avec la sienne... Mais qu'étaient-là ces divagations? Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait tant envie de se rapprocher d'un inconnu, c'était insensé... et pourtant tellement indispensable. Le visage de cet homme reflétait tant de mélancolie, dans ses yeux étranges, bien sûr, mais aussi dans l'expression de ses lèvres, fines et bien dessinées, affichant ce doux sourire sans joie, si attendrissant. Ses pommettes saillantes, son nez fin, tout semblait être accordé à définir une infinie solitude... Qu'elle aurait tant aimé combler. Il semblait avoir une trentaine d'années, mais la sagesse de ses paroles et de son regard lui avaient parues séculaires.
Sa chevalière ornée d'un sceau familial et les boucles en argent de ses chaussures indiquaient une personne de haute lignée, ce qui lui laissa la sensation d'être encore plus misérable et qu'il lui serait à tout jamais impossible de se rapprocher de lui. Une larme lui échappa, elle ne put retenir un sanglot. Au même moment, il se retourna et la prit dans ses bras. Elle en eut le souffle coupé et le reste de ses larmes courut le long de ses joues, réchauffant sa peau glacée. Son étreinte était si chaleureuse mais elle sentait la froideur de sa peau à travers le tissu, aussi gelée que la sienne, mais certainement pas pour les même raisons lui sembla-t-il. De toute façon, cela lui était égal, elle pouvait mourir sur le champ, ses bras lui avaient apporté un ultime bonheur! Sa tristesse sembla s'évaporer les quelques secondes que cela dura, pour lui retomber au fond de la gorge telle une énorme pierre dès qu'il la lâcha. On ne lui avait plus témoigné d'affection depuis la mort de sa mère, il y a si longtemps, et, même là, ce n'était pas comparable, ce fut comme si Dieu lui même était venu aspirer ses angoisses pour un instant... Si court, malheureusement.
- Ne pleurez pas ainsi voyons, tout s'arrangera vous verrez. Dit-il au moment où il la relâcha tendrement.
- Comment? Je ne devrais même pas être ici, ce n'est pas correct.
- Voyons, cessez de penser cela, j'ai senti en vous plus d'intelligence que toutes celles de mon rang, comme vous dites, que j'ai pu connaître, de plus elles ne savent rien des véritables sentiments, tout est superficiel dans leur univers, un collier de diamants et une sucrerie suffisent à les consoler de la mort d'un proche. Elles pensent que les seules richesses sont matérielles et j'ai de plus en plus de mal à me fondre dans cette superficialité tant elle me répugne.
- Ô Seigneur! J'ai du mal à croire qu'une personne telle que vous puisse penser cela, c'est superbe et irréel en même temps.
- Vous êtes touchante. Vous savez, j'ai éprouvé plus de plaisir en notre brève conversation qu'en toutes celles que j'ai eu depuis bien des années. Il me semblait que l'être humain devenait de plus en plus insensible, même à l'opéra, rarissimes sont ceux qui viennent là pour apprécier la musique, tout n'est qu'apparat et intrigues amoureuses insipides. C'est pour cela, lorsque je vous ai aperçue sur les marches, je me suis dit qu'enfin un être réceptif à la musique existait et cela impliquait sûrement, enfin, une personne intéressante dans ce triste monde.
- Vous ne devriez pas me flatter ainsi, je ne suis qu'une vulgaire mendiante, je sais seulement lire et écrire, je n'ai pas étudié, je ne peux certainement pas vous captiver de la sorte.
- Ne vous rabaissez pas ainsi, il me semble que vous en savez plus sur la vie et les sentiments véritables que tous les soi-disant érudits que j'ai rencontré. C'est cela qui importe!
Le fiacre s'arrêta soudain. Une immense bâtisse s'élevait au-delà d'un sublime portail en fer forgé orné d'une tête de lion sur chacune des colonnes qui le soutenait. Une allée bordée de rosiers menait à l'escalier de l'entrée dont les rampes semblaient sculptées de feuilles d'acanthes. Le rayonnement de la pleine lune passait à travers le feuillage des marronniers encerclant le manoir, lui donnant l'aspect attirant et inquiétant des châteaux des contes surnaturels que lui lisaient sa mère.
- Venez ma belle enfant, nous poursuivrons notre conversation à l'intérieur.
Elle le suivit sans hésiter.


Chapitre IV




Il paya le cocher. Le pas des chevaux s'éloigna, les laissant seuls dans le silence et la paix nocturnes. Plus ils s'approchaient de la maison, plus elle semblait fantomatique. La lune paraissait n'être là que pour illuminer ce lieu de sa pâleur étrange et surnaturelle. Il ouvrit la lourde grille à l'aide d'une clé en argent ciselé, sortie de sa veste. Un grincement sinistre rempli le calme enténébré, rappelant le cri d'un damné.
- Suivez moi.
Le son de sa voix résonna dans la nuit telle une douce mélodie, contrastant avec le bruit terrifiant du fer grinçant. Il lui tendit la main comme s'il l'invitait pour une danse, elle hésita, puis la prit. La douceur glacée de celle-ci lui semblait si étrange, mais, finalement, tout ce qu'elle était en train de vivre ce soir l'était tellement que cela ne l'effraya nullement, elle trouva même que cela s'accordait parfaitement à ce lieu, froid mais si envoûtant. Ils avancèrent le long de l'allée, tels deux jeunes mariés vers l'autel. La douce brise nocturne diffusait le parfum enivrant des roses. Ils arrivèrent au bas de l'imposant escalier, elle s'arrêta, contemplant les détails de la sublime demeure, fleurs de lys sculptées au-dessus des fenêtres immenses, gargouilles grimaçantes aux coins du toit, porte massive en chêne ornée d'un étrange butoir imitant une main aux doigts décharnés. Elle se sentait si minuscule face à cette demeure que cela la fit frissonner.
- N'ayez pas peur, venez.
Il gravit les marches lestement, la laissant en bas, puis déverrouilla la serrure.
- Entrez, n'hésitez pas.
Elle le suivit à l'intérieur
- Comme promis je ne ferme pas la porte, êtes vous rassurée? Vous pourrez partir quand bon vous semblera.
- Je vous suis gré d'être si attentionné à mon égard, je serai vraiment impolie en partant maintenant, une telle hospitalité est si rare en ce triste monde, je ne peux la refuser.
- En ce cas venez vous restaurer.
Ils traversèrent l'immense hall d'entrée au sol dallé de marbre, puis passèrent dans un boudoir où les murs regorgeaient de dorures entrelacées et de tableaux aux natures mortes diverses, traversèrent une immense salle de bal ornée d'un lustre gigantesque aux pampilles de cristal reflétant la lumière argentée de la lune et lui donnant une luminosité encore plus éclatante.
- Cela fait bien longtemps que cette pièce n'a pas accueilli du monde. Dit-il avec tant de nostalgie qu'elle entendit un trémolo dans sa voix. J'espère y remédier un jour.
Ils débouchèrent sur l'arrière du manoir, passèrent dans l'immense bibliothèque aux rayonnages d'acajou bondés de livres sans âge et aux somptueux fauteuils en velours violet, puis arrivèrent dans la salle de banquet où un riche mobilier pouvait accueillir une dizaine de convives. Les murs étaient couverts de plusieurs portraits, des femmes et des hommes ayant tous un air de famille. Ils rejoignirent la cuisine attenante.
- Désirez-vous du pain et quelques fruits? Je ne peux vous proposer guère plus pour l'instant.
- Cela me suffira amplement, et cela sera toujours mieux que les morceaux de pain rassis dont je me nourris quand j'arrive à en trouver.
- Pauvre enfant, tenez, régalez-vous. Il lui tendit une grande tranche de pain frais et deux énormes pommes rouges.
- Oh merci! Elles ont l'air si appétissantes.
Elle dévora son improbable repas comme s'il eut été le dernier.
Quelque part, il l'était...


Chapitre V


- Je remarque que vous êtes terriblement affamée, il me reste encore des fruits, en désirez-vous d'autres?
- En aucun cas, cela est déjà trop, je devrais m'en aller à présent.
Sa raison lui suggérait que cette étrange rencontre allait forcément se terminer très bientôt, mais son âme avait tellement l'impression d'avoir enfin trouvé un havre de paix qu'elle se sentait en harmonie totale avec cet endroit féérique et ne voulait plus jamais le quitter.
- En êtes-vous sûre? Je ne vous retiens pas si vous souhaitez vraiment partir, mais je dois vous avouer une chose, pardonnez cette impolitesse, mais vous avez su illuminer ma morne vie en quelques heures, votre magnifique sourire m'a réchauffé en cette froide nuit. Il est rare sur votre bouche d'ailleurs, si je ne me trompe pas?
- Effectivement...
- Rare et donc si précieux... Votre personnalité est si attachante et attendrissante. Comme je vous l'expliquais cela fait tant d'années que je ne rencontre que des personnes vide de sens que vous m'avez surpris et ébloui, de plus vous me rappelez tellement ma défunte femme, que je n'ai pu que vous venir en aide. Vos magnifiques cheveux longs d'un noir de jais, vos yeux verts si profonds et sublimes, votre corps si frêle, vos mains d'ange, même jusqu'à la forme délicieusement pleine de vos lèvres vous lui ressemblez presque dans les moindres détails, cela m'a profondément troublé.
Je ne peux non plus vous cacher plus longtemps la dernière raison qui m'a également poussé à vous ramener ici, hormis celle de vous venir en aide pour quelques heures. Ne prenez pas cet air effrayé, si vous refusez ma proposition vous aurez tout à fait le droit de partir comme je vous l'ai promis, je ne vous oblige à rien, mais réfléchissez-y bien. Si jamais vous refusez, promettez moi juste de ne pas colporter mon histoire, mais je vois au fond de vous que je peux vous faire confiance. Je vais vous conter le terrible récit de ma vie, qui est devenu une sorte de malédiction, vous comprendrez ainsi où je veux en venir.
Il y a une vingtaine d'années ma femme mourut d'une terrible maladie, nous étions à peine mariés depuis cinq ans lorsque cela arriva, ce n'était pas un mariage de raison, mais d'amour, ce qui est très rare, mais ma famille m'a élevée dans le respect et l'amour des autres, elle a toujours refusé d'utiliser autrui pour l'argent. Ainsi donc, je la rencontrai à un des bals organisés par la cour, j'ai tout de suite était ébloui par sa beauté, mais également par son goût sans limite pour les arts sous toutes leurs formes et la musique en particulier. Nous avions discuté des heures de nos oeuvres préférées et de toutes celles que nous pourrions encore découvrir ensemble. Quelques mois plus tard nous étions unis par le mariage, elle était issu d'une famille de riches aristocrates, moi de même, aussi ses parents ne s'opposèrent-ils pas à notre union, pour notre plus grand bonheur. Un jour, alors que nous rentrions d'un voyage, elle tomba gravement malade, la fièvre la cloua au lit. Je fis appel à tous les docteurs de la ville et même au-delà, aucun ne put la sauver et le diagnostic était toujours sensiblement le même: une mort imminente. Elle décéda un mois plus tard, ainsi que ma joie de vivre.
Il marqua un silence, elle le regardait, interdite, se demandant le dénouement de son histoire, elle voyait que c'était un immense effort pour lui de lui révéler tout cela, il était au bord des larmes et elle aussi tant son chagrin brûlant la touchait au plus profond d'elle, le comprenant mieux que quiconque. Elle lui prit la main instinctivement pour le soutenir, puis espéra que ce geste n'allait pas l'offenser, mais, au contraire, il la serra en retour, sa peau froide accentuant cette sensation d'étrangeté qui ne l'abandonnait pas, comme si l'ombre de la mort de sa femme l'avait suivi, voire imprégné. Il poursuivit:
- Je ne pus me résoudre à l'enterrer, je la laissais donc sur son lit de mort, dans notre chambre. Elle n'avait rien perdu de sa beauté, on eut dit que le trépas avait figé son éclat à tout jamais. Je restais des heures agenouillé à la pleurer en priant pour qu'elle se relève, ou que je me réveille de ce cauchemar, mais rien ne se produisit. Ma foi s'éteignit, me laissant exsangue. Puis une idée me vint, j'avais en ma possession une immense bibliothèque que mon père m'avait légué, je n'avais point eu le temps de me plonger dans tous les ouvrages, mais je le savais féru d'alchimie et de sortilèges, il en parlait très souvent, je n'avais jamais pensé que ces choses là puissent m'être de quelque utilité un jour, ni même que l'on pouvait les employer de façon concrète, mais je devais tout tenter...
Il s'arrêta de nouveau, étouffé par un sanglot, puis avoua:
- Pour la faire revenir...
- Oh Seigneur, vous voulez dire la ressusciter?
- Oui ma chère, malheureusement mon chagrin immense m'a conduit au bord de la folie et je me devais d'essayer tous les moyens pour la ramener, eussent-ils été irrationnels, pour retrouver ma bien aimée Sibylle.
Elle restait sans voix, apeurée, mais tellement intriguée par cette histoire insensée.
- J'ai donc épluché pendant deux jours entiers les livres occultes de mon défunt père pour trouver ce que je cherchais: un élixir pour ramener les morts à un semblant de vie. Les ingrédients pour le concevoir étaient particulièrement durs à trouver et la composition très fastidieuse à réaliser. Cependant je ne reculais devant rien, je suis allé chercher la plupart d'entre eux en pleine forêt chez une guérisseuse que je savais pratiquer également la magie. Je la payais bien grassement, aussi ne me demanda-t-elle pas les raisons pour lesquelles je comptais les utiliser. Le dernier ingrédient devait être recueilli par celui même qui réalisait l'élixir et c'était le plus dur à se procurer: le coeur d'une jeune fille vierge.
Elle sursauta, saisie d'une soudaine nausée.
- Vous voulez mon coeur!?
Cria-t-elle en se levant d'un bond.
- Ne vous inquiétez pas, je ne vous ai pas menti, tout cela s'est passé il y a bien des années, de plus vous me rappelez trop ma défunte bien aimée pour que je puisse vous faire le moindre mal.
Elle s'apaisa, lu dans ses yeux qu'il disait la vérité et même dans sa panique elle savait au fond d'elle qu'elle ne craignait rien, son appréhension était simplement instinctive, une réaction normale à une situation si étrange. Son âme continuait de lui murmurer que sa place serait bientôt auprès de cet homme, qu'elle ne devait pas s'affoler, que tout allait s'arranger, elle espérait juste que cette impression n'était pas seulement une divagation de son esprit...
Son pauvre esprit tellement rongé par le chagrin qu'il s'accrochait au premier espoir venu...



Chapitre VI


- Pardonnez-moi, je ne voulais pas m'emporter de la sorte, j'ai juste été surprise, cela semble si horrible. Avez-vous pu trouver cet "ingrédient"?
- Oui, je me suis mis à la quête de ce coeur, je devais le trouver rapidement car le défunt devait être recouvert de l'élixir avant le septième jour de sa mort, il ne me restait que deux jours. Je partis donc à la recherche d'une jeune fille, mais je préférais me rendre à l'hospice chercher celui d'une jeune condamnée, plutôt que de voler la vie d'une personne en pleine santé. Une macabre chance me fit découvrir que je n'avais que l'embarras du choix, une épidémie ravageait la ville et beaucoup étaient atteint du même mal incurable que ma pauvre Sibylle. Je me fis passer pour quelqu'un cherchant sa jeune soeur perdue depuis quelques temps dans cette immense cité. On ne tarda pas à m'amener au chevet d'une jeune mourante, trouvée quelques jours plus tôt, inconsciente, dans la rue. Personne n'étant venu pour elle, ils pensaient qu'elle n'avait plus de famille et ses vêtements en lambeaux suggéraient une mendiante. Je dis que je reconnu ma soeur, ils me laissèrent l'emmener sans histoire. Elle était inconsciente, il ne lui restait que quelques heures à vivre selon eux. On m'aida à la transporter à ma calèche et je la ramenais chez moi, la malheureuse ne survit pas au voyage, je la transportais donc dans une des chambres, la posais sur le sol et, là, entreprit sans tarder ma macabre tâche. Heureusement j'avais renvoyé tous les domestiques à la mort de Sibylle, ne pouvant plus supporter le contact d'autres personnes, j'étais donc seul, on ne pouvait pas me déranger. A l'aide d'un couteau finement aiguisé j'incisais doucement la chair au niveau de la poitrine de cette pauvre jeune fille et en extrayais son coeur. Si délicat, mais si précieux. Je le mis dans un récipient en cuivre où se trouvaient déjà tous les autres ingrédients et entreprit la réalisation du miraculeux onguent en allant faire chauffer le tout aux cuisines. Je ne cessais de remuer cette effroyable mixture à l'intense puanteur pendant plus de deux heures et, enfin, une pâte verdâtre se forma, c'était prêt, j'allais savoir si j'allais retrouver ma bien-aimée. Je revins donc à son chevet, l'odeur douce-amère de la putréfaction commençait à devenir insupportable dans la pièce. Son visage avait perdu l'éclat des premières heures de la mort et ne ressemblait guère plus qu'à une vague imitation en cire de sa beauté d'antan. Je préférais faire fi de tout ça et me concentrais sur ma tâche. Comme décrit dans le livre j'appliquais l'onguent sur tout son corps et lui en versait également au fond de la gorge comme indiqué. Je devais ensuite la recouvrir d'un linceul et la laisser ainsi pendant une nuit entière pour que l'élixir pénètre bien dans chacun des pores de sa peau. Je ne pus la quitter des yeux pendant des heures, guettant la moindre réaction de sa part, je voulais absolument être là si jamais elle se réveillait vraiment. Cependant le sommeil me rattrapa, ces derniers jours avaient été tellement éprouvants, les bras de Morphée m'enlacèrent. Des cauchemars affreux ne m'ont pas quitté une seconde, des créatures hideuses, purulentes et rampantes me poursuivaient. Je me réveillais en sursaut au petit jour, ma bien-aimée avait disparue. Le linceul gisait au sol, le lit était vide. Paniqué mais rempli d'une joie sans limite, je partis à sa recherche. Je fouillais le manoir de fond en combles mais ne la trouvai nulle part. Je sortis inspecter le jardin et entendit du bruit dans le poulailler, j'y entrai, elle était là, la bouche maculée de sang, une poule égorgée entre les mains. Elle leva la tête lorsqu'elle m'aperçut, ses yeux brillaient d'une opalescence surnaturelle, ils n'avaient pas retrouvé leur couleur d'origine, un voile blanc les recouvraient toujours, comme si l'ombre de la mort étaient encore en eux. Elle s'avança lentement vers moi, j'eus envie de courir la serrer dans mes bras, mais mon instinct me disait de rester éloigné de cette créature. Oui, créature était le mot approprié car il n'y avait pas que ses yeux qui avaient changés, sa peau semblait avoir totalement absorbé l'élixir et s'était teintée du même vert sale, sa démarche saccadée semblait celle d'un pantin désarticulé et la puanteur du cadavre qu'elle était ne l'avait pas quittée. Je n'avais pas bougé de l'entrée du poulailler, elle n'était plus qu'à quelques mètres de moi, d'un coup elle se jeta en avant, essayant de me mordre à la gorge tel un animal enragé. Je réussis tant bien que mal à la repousser mais elle s'agrippa à mon bras puis y planta ses dents et m'arracha un gros bout de chair. La force de ses mâchoires était incroyable, je restais abasourdi par le choc, des flots de sang s'écoulaient de la blessure, je ne comprenais pas ce qui m'arrivais, je tombais à genoux, elle s'était éloignée de moi, me scrutant comme si elle aussi se demandait ce que j'avais, elle avait l'air aussi déboussolée que moi par la situation, mais je compris en une seconde que je devais me débarrasser d'elle car toute humanité semblait l'avoir quittée. Au même moment sa fureur animale l'envahit encore et elle se rua à nouveau sur moi. Je courus en toute hâte vers la maison, sachant qu'elle me suivrais, je profitais de l'avance que j'avais pour rentrer par la cuisine et y prendre une large corde de chanvre. Elle arriva quelques secondes après, je l'attendais derrière la porte et la poussait à terre quand elle pénétra à son tour puis l'enserrait. Elle se débattait violemment mais je tins bon et réussit à la traîner à la cave où je trouvais une chaîne forgée ce qui n'était pas de trop pour l'immobiliser, je l'accrochais ensuite au mur à un gros crochet. Son corps frêle ne cessait de se convulser et de tirer sur ses entraves, entaillant sa chair. Elle parut se fatiguer au bout d'un moment et redevint calme. Je ne l'avais pas quittée des yeux, ni la faux suspendue près de moi, au cas où... Soudain elle se fit suppliante comme si elle avait deviné ce que j'avais en tête. Elle conservait un vestige des traits que j'avais tant aimé, aussi ne pus-je me résoudre à lui donner une seconde mort, cela me déchirait trop, peut être y avait-il une autre solution pour la ramener complètement et la sauver.
Je décidais donc de la laisser là et d'aller chercher de l'aide auprès d'un alchimiste...
Ou d'une sorcière...


Chapitre VII



- J'essayai donc de me renseigner sur l'auteur, alchimiste et mage, du livre dont je m'étais servi. Après avoir pensé ma blessure encore purulente, j'allais chez le libraire où se rendait toujours mon père et lui demandais s'il savait où vivait cet homme. Malheureusement il me dit qu'il était mort depuis plusieurs années, je voulus savoir s'il ne connaissait pas d'autres personnes en vie ayant connaissance de l'alchimie ou d'autres pratiques ésotériques, mais il me dit que, ces disciplines étant très controversées, les auteurs donnaient peu de renseignements sur leur personne, de plus, il n'avait pas été en contact avec l'un d'eux depuis une dizaine d'années. Je sortis désespéré de la librairie, allais-je vraiment devoir donner cette seconde mort atroce à Sibylle? Je ne pouvais toujours pas le concevoir, se serait trop difficile. Je décidais que la dernière solution était de retourner chez la guérisseuse, je croyais qu'elle pourrait m'aider, beaucoup la disait sorcière, elle devait connaître la plupart des élixirs alchimiques. Arrivé devant sa maison, j'hésitais un instant, et si elle était juste une guérisseuse, qu'elle ne savait rien de l'alchimie, j'allais passer pour un fou qui garde une morte chez lui et la croit ressuscitée, mais je ne pouvais pas reculer, c'était ma dernière chance. Je frappais, la vieille femme m'ouvrit, un air grave marquant ses traits, je pénétrais dans la semi-obscurité de sa vétuste chaumière et, là, elle m'annonça qu'elle m'attendait. Je ne comprenais pas pourquoi elle me disait cela puis, elle s'assit et m'expliqua calmement qu'elle ne connaissait qu'une seule formule réunissant tous les composants que je lui avais acheté et qu'il y avait toujours des effets néfastes. Elle me parla même de "l'ingrédient" en plus qu'elle ne m'avait pas fourni et me fit comprendre qu'elle se doutait que je l'avais très certainement trouvé. Quelque part j'étais soulagé, elle allait donc croire mon récit, mais si elle avait eu vent de cette potion pourquoi ne m'avait-elle pas avertit des terribles conséquences qu'elle engendrait? Je lui fis part de mon histoire et le lui demandais. Elle me dit qu'effectivement elle était au courant de ce que faisait cet élixir, sa mère, qui lui avait transmis son savoir, lui en avait parlé en la prévenant bien de ne pas le réaliser car les défunts ne reviennent jamais à la vie avec la même personnalité qu'avant. La mort reste imprégnée en eux, ils sont comme dirigés par sa force obscure, ils marchent, parlent quelques fois, mais ils sont très souvent agressifs tels des animaux affamés, ils n'ont que des bribes de souvenirs de leur vie passée, c'est pour cela qu'ils peuvent s'attaquer même aux personnes qu'ils ont aimé. D'ailleurs elle me fit remarquer que j'avais eu beaucoup de chance que ma femme ne m'ait pas tué en s'éveillant, elle m'avait peut-être reconnu et avait décidé qu'elle me laisserait la vie sauve, préférant des poules sans défense pour son premier repas de non-morte. Je songeais que cet éveil de conscience fut malheureusement trop bref. Elle continua son récit en me racontant que l'élixir avait été créé pour punir ceux qui avaient commis des crimes atroces au temps du Moyen Age. Ils étaient donc tués et ramenés à cette non-vie puis enfermés et torturés éternellement, enfin, du moins tant que leurs geôliers étaient encore en vie. Les guerres et les épidémies ayant décimées une partie de la population au fil des ans, beaucoup de ces geôliers moururent, laissant ces créatures à leur prison, elles furent oubliées, certaines périrent de faim, mais d'autres réussirent à s'échapper, utilisant leur terrible force surnaturelle pour briser les barreaux qui les retenaient pour ensuite se réfugier dans les forêts. Elles ne pouvaient se nourrir que de chair crue et de sang, beaucoup d'animaux sauvages furent trouvés déchiquetés par les chasseurs, ce qui fit naître certaines légendes de monstres mi-humains mi-bêtes hantant les bois. Leur force était telle qu'elles pouvaient même tuer un ours à mains nues. Je lui criais, désespéré, de m'expliquer pourquoi elle ne m'avait pas prévenu avant puisqu'elle connaissait tout ça, elle me dit qu'elle avait très bien comprit que rien ne pouvait m'arrêter, comme tous ceux qui voulaient réaliser cet élixir d'ailleurs, il était l'Ultime Recours des désespérés, elle avait vu que j'étais si déterminé que je n'aurai jamais écouté ses mises en garde.
En y réfléchissant quelques secondes, je me rendis compte qu'elle avait absolument raison.


Chapitre VIII


Je me calmais et remerciais la vieille dame pour ses précieuses explications et lui demandais s'il n'y avait vraiment aucun moyen de la ramener de façon "saine", ou, du moins, de changer son comportement violent. Elle m'expliqua que rien ne pouvait plus sauver les personnes dont l'élixir avait pénétré la chair, elle était damnée pour toujours, à moins, bien sûr, que je ne la décapite et brûle ses restes. Elle m'avoua également que certains alchimistes continuaient de transmettre oralement, ou dans leurs écrits, cette formule maudite pour donner une leçon à tous ceux qui oseraient défier La Mort en la réalisant et qu'ils pensaient que les personnes voulant changer Le Destin et se prendre pour Dieu en redonnant la vie devaient recevoir une bonne leçon. Pour eux, personne ne pouvait être l'égal de Dieu, c'est ce qu'ils voulaient faire comprendre à ces impies qui auraient utilisé l'élixir. Mais l'Amour incommensurable fait quelquefois oublier Dieu, vous en êtes la preuve, me dit-elle! Cela, elle pouvait le comprendre tout à fait et l'accepter, c'est pour cette raison qu'elle m'avait laissé réaliser la formule maudite et voir par moi-même où me mènerait mon désespoir et ma folie amoureuse. Dépité et complètement anéanti par ces terribles révélations, je décidais donc de repartir au manoir, non sans avoir une fois de plus gratifié cette aimable personne de quelques pièces d'or pour son aide si précieuse. De retour chez moi, je restai de longues heures à pleurer devant la porte de la cave, me maudissant de m'être laissé aveuglé par ma tristesse. Ma pénitence pour ce péché était donc de devoir ôter moi-même la vie à ma pauvre non-morte, cependant, je doutais que Dieu exista encore réellement pour autoriser de telles aberrations, mais là n'était pas la question, je devais réparer ma terrible erreur et vite, je ne pouvais pas laisser Sibylle une seconde de plus dans ce terrible état. J'ouvris donc la porte, descendit les marches, empoignait la faux au passage et sans plus attendre me précipitais sur elle et lui tranchais le cou. Heureusement elle s'était assoupi et resta immobile, m'épargnant de voir une dernière fois ses yeux terrifiants où la Mort planait ainsi que de l'entendre crier et se débattre, cela ne m'aurait guère facilité cet acte effroyable. Des jets de liquide verdâtre s'échappèrent du cou tranché, c'était immonde, mais je continuais sans rechigner mon expiation, je ramassais sa tête qui semblait enfin porter un apaisement ultime dans ses traits, bien que toujours coloré de ce vert dégoûtant. Je trouvais de vieux draps et l'y enveloppait avec soin, ainsi que son corps, triste carcasse témoin de mon entêtement insensé et sans limite. Je la portais dans le jardin à l'arrière du manoir, allais chercher de l'eau de vie, puis, après en avoir recouvert ses restes y mis le feu. Pendant qu'elle se consumait lentement, je pris une pelle et entrepris de creuser sa tombe à l'orée de la forêt, sous le grand marronnier où elle adorait s'adosser l'été pour se reposer. Au petit matin, il ne restait d'elle que des ossements recouverts de terre et d'une croix de bois que j'avais sculpté la nuit même. Epuisé par ces terribles besognes, je rentrai et m'allongeai, puis dormis jusqu'au lendemain soir d'un sommeil sans rêve. En m'éveillant j'étais encore plus épuisé que la veille, j'avais de la fièvre, j'étais en sueur, et, surtout, la blessure que Sibylle m'avait infligée s'était réouverte et saignait, mon bandage et mes draps étaient souillés de rouge, mais aussi de ce liquide vert putrescent qui s'écoulait de mon bras. J'eus un haut le coeur et vomi de la bile, n'ayant rien d'autre dans l'estomac depuis bientôt deux jours. Je me dis que ce devait être la cause de mon épuisement, même si cela n'expliquait pas les saignements. J'entrepris de me lever pour aller me sustenter, mais je fus saisi de violents vertiges et ne pus tenir debout. J'attendis quelques instants puis recommençais en y mettant toutes mes forces, je parvins à faire quelques pas puis me retins au chambranle de la porte, je ne me souvins même plus comment j'arrivais aux cuisines, je sais juste que je ne pus rien avaler, tout me semblait atrocement écoeurant, je ne comprenais pas, mais je savais instinctivement ce qui me conviendrais, la seule chose que j'avais à l'esprit et qui me faisait envie était de la viande crue gorgée de sang, c'était atroce, mais cette image ne me quittait pas. Je repensais à Sibylle, à la façon dont elle tenait nonchalamment la poule égorgée entre ses frêles doigts dégoulinants de fluide vermeil, cette vision d'horreur me fit sombrer dans l'inconscience. Je me réveillais un moment plus tard, dans ce même poulailler, les mains en sang... Je hurlais. Mon cri dura des heures me sembla-t-il.


Chapitre IX

- Après avoir plus ou moins repris mes esprits je sortis en courant du poulailler, regagnais le manoir et inspectais mon visage dans le grand miroir du vestibule. J'y trouvais de nombreuses transformations comme je le craignais, ma peau avait une pâleur cadavérique, mes joues s'étaient creusées et mes lèvres affinées comme si la Mort elle même avait voulu aspirer toute trace de vitalité de mon visage. Mes yeux... Diantre! Mes yeux eux aussi s'étaient métamorphosés, ils avaient la même opalescence que ceux de Sibylle quelques heures plus tôt. Leur couleur s'était évaporée et ils semblaient refléter toute la souffrance que j'avais en moi, telles deux vitres laissant transparaître l'âme meurtrie au tréfonds de mon crâne. Mon bandage était tombé et ma blessure s'était refermée, mon bras n'en gardait plus aucune trace. J'eus la confirmation de ce que je redoutais tant, Sibylle m'avait infecté en me mordant, me transmettant une part de l'élixir qu'elle avait en elle via mon sang. Comme j'étais encore vivant lorsqu'il a pénétré en moi, il s'est opéré une transformation inédite. Ma peau n'était pas putréfiée, mon coeur battait toujours, mes souvenirs étaient intacts, je pouvais parler et marcher normalement, de plus, je n'avais pas cette rage insensée qui semblait animer Sibylle. Par contre, une faim insatiable de chair crue, et surtout de sang, me taraudait les entrailles inlassablement. J'allais découvrir aussi, quelques heures plus tard, au lever du soleil, que mes yeux et ma peau avaient été fragilisés. Contrairement à ma bien-aimée, qui avait été morte puis réanimée, mon corps encore vivant avait donc produit une étrange alchimie avec l'élixir et je ne pouvais plus supporter la clarté du jour, j'étais littéralement ébloui par celle-ci, je ne pouvais plus rien y distinguer, quant à ma peau, le fait de l'avoir seulement laissée quelques minutes à la lumière du matin, le temps que je comprenne que cela me nuirait, s'était couverte de plaques rouges extrêmement douloureuses comme si j'étais resté exposé des heures sous un soleil de plomb, alors que le jour se levait à peine et que le ciel était nuageux. Je dus donc rester tapi à l'intérieur et ne pus même pas rejoindre le poulailler où je comptais me rendre de nouveau ce matin là, ma faim ne s'étant nullement calmée même après avoir dévoré deux des poules la nuit même. Je tentais de me sustenter de pain et de fruits en attendant le soir, mais, à peine quelques secondes après les avoir ingurgités mon estomac se contracta violemment et je ne pus m'empêcher de tout vomir, mon organisme ne supportait plus la nourriture classique. Je compris pour de bon que ma vie entière allait être bouleversée. Je devais cacher mon terrible secret ou j'allai être enfermé pour hérésie, ou, pire, tué et disséqué par quelque médecin peu scrupuleux. Je décidais donc de ne plus me rendre aux divers banquets et bals dont je recevais encore très souvent les invitations via des missives quotidiennes, ma présence étant toujours très appréciée grâce à mon érudition, et ma fortune cela va de soi. Je prétextais donc le deuil ou une fièvre cérébrale dans mes réponses écrites que je transmettais à leurs coursiers. Cela dura plusieurs mois, plus d'une année même, puis, à la longue, plus personne ne se souciait de m'inviter, on m'oublia petit à petit, n'ayant plus de famille ni de véritable ami à part Sibylle, personne ne vint non plus me rendre visite, je n'osais même plus aller à l'opéra de peur que l'on me reconnaisse et que l'on me pose des questions. Je sortais uniquement le soir pour aller m'approvisionner en viande crue et en volailles dans les fermes de la région. Je m'aperçus même qu'au bout de quelques temps la viande n'était plus assimilée par mon organisme, je ne pouvais plus avaler que du sang.
Telle est donc ma terrible malédiction, je ne l'ai révélée à personne durant ces quatre-vingt-trois longues années. Oui, vous avez bien entendu, j'avais trente-deux ans lorsque tout cela m'est arrivé et je n'ai pas pris un seul signe de vieillesse en plus depuis que l'élixir a envahit mon être.
Je vous ai donc conviée ici pour savoir si partager cette éternité avec moi, en devenant la même créature que je suis, vous serait concevable?


Chapitre X



Elle était tellement abasourdie par toute la terrible et si étrange histoire qu'elle venait d'entendre que cela lui semblait impossible. Cependant, elle comprenait à présent pourquoi cet homme avait cette allure si étrange d'ange déchu, avec sa peau d'albâtre, ses gestes si délicats, voire alanguis, et la froideur de son corps, témoin de l'empreinte de la Mort qu'il garderait à tout jamais. Elle réfléchissait à tout cela, si bien qu'elle n'osait toujours pas parler et donner sa réponse.
- Pardonnez-moi, je vous demande une chose tout à fait troublante et je ne me suis toujours pas présenté à vous. Je m'appelle Grégoire de Valorent. J'habite cette demeure qui fut la résidence d'été de mes parents depuis trente-deux années. En effet, j'ai dû déménager des lieux où s'est déroulée l'histoire que je vous ai conté car certains voisins me remarquaient sortir la nuit et, au fil des années, il se demandèrent pourquoi je ne semblais pas vieillir, j'ai donc eu des visites importunes de personnes venues m'espionner et j'entendais les murmures des gens que je croisais lorsque j'allais m'approvisionner et qui se retournaient sur mon passage. Même si je changeais sans cesse de fermes où trouver mes "vivres", si je puis dire, je compris que le bouche à oreille jouait contre moi. Mon secret allait être découvert un jour ou l'autre et on ne tarderait pas à venir immoler "l'étrange noble qui se nourrit de viande crue" comme ils m'appelaient. J'ai donc décidé de dire adieu à ma demeure et de rejoindre celle-ci. Elle n'avait pas été habitée depuis plusieurs décennies, j'eus peur de la trouver pillée ou partiellement en ruines, mais, à part une immense couche de poussière, tout était resté intact depuis la dernière fois où j'étais venu y passer quelques jours avec Sibylle et mes parents. Ah! Doux moments d'un passé perdu pour toujours! Je recommençais donc une nouvelle vie ici-même, non sans avoir oublié d'emporter mes titres de propriété pour cette demeure et les terres alentours au cas ou quelques curieux seraient encore venus me demander qui j'étais. J'aurais prétexté être le descendant du propriétaire et avoir hérité de la demeure, ce qui, quelque part, était vrai même si je n'étais pas l'arrière-arrière-petit-fils comme cela aurait dû. J'amenais également quelques vêtements, et, bien sûr, tout mes bijoux et autres pièces d'or qui me permettraient de vivre encore d'innombrables années sans être dans le besoin, voire même acheter une autre demeure, et vendre celle-ci, si je rencontrais encore les même problèmes au bout de plusieurs années, car je ne pourrais plus revenir là où s'était déroulée ma tragédie, ces lieux seraient à jamais pour moi le symbole de ma damnation, j'y étais resté trop longtemps, les murs étaient imprégnés de tristesse, c'était mieux, finalement, que j'emménage ici. Je pouvais renaître et essayer de connaître un semblant de bonheur. Je recommençais à fréquenter les opéras et les théâtres, cette nouvelle ville étant beaucoup plus vaste que la précédente j'espérais passer inaperçu. Cela faisait tant d'années que je n'osais plus sortir, j'étais transcendé, cela m'avait tant manqué. J'essayais cependant de me faire discret, n'adressant la parole à personne, et ne répondant que brièvement à ceux qui me l'adressait. Je commençais un élevage de volailles et de porcs, ce qui m'évita de m'approvisionner dans les fermes, évitant ainsi la curiosité incessante des gens. Cependant, je dois encore vous révéler une dernière chose avant que vous ne preniez votre décision: le sang animal n'est plus suffisant au bout de quelques années. Il est un excellent palliatif à la nourriture et maintient en vie, mais il y a une quinzaine d'années, je compris qu'il ne me suffisait plus. J'étais en effet atteint de fatigue, de maux de tête et de vertiges incessants, j'allais donc essayer de trouver quelques cataplasmes qui auraient pu me soulager chez l'apothicaire. C'était une fin d'après-midi d'hiver où le soleil était déjà couché, j'entrais dans la boutique, j'étais seul avec l'apothicaire, il me salua et, de façon inattendu, une pulsion meurtrière me monta du fond des entrailles et je me jetais sur lui. Je lui déchirais la gorge d'une violente morsure, le sang embrasa ma bouche et se déversa de façon tellement réconfortante dans tout mon être qu'il chassa tous mes maux au fur et à mesure que je l'aspirais hors de ce pauvre innocent. La sensation de bien-être qui m'envahissait était même au-delà de l'orgasme. Le sang des animaux ne m'avait jamais provoqué cela, c'était comme manger quelque chose de fade juste pour survivre, alors que, là, c'était prendre une essence vivante pour faire renaître chaque parcelle de mon corps à demi-mort. J'eus l'impression de ne plus pouvoir m'arrêter de boire, je captais également, au bout de quelques secondes, le flot incessant des pensées et des souvenirs de cet homme, c'était enivrant et totalement déstabilisant, puis le contact se rompu d'un coup, ce fut comme si l'on m'avait frappé violemment à la tête, j'étais sonné, je relâchais mon étreinte, il était mort. J'étais quelque peu paniqué mais je ne perdis pas une seconde, je trainais son corps jusqu'à ma calèche devant sa boutique, heureusement la rue était déserte, je le cachais sous les sièges, je retournais chez moi, puis allais l'enterrer au fin fond de ma forêt. Je rentrais et m'assis pour réfléchir à ce terrible accident, tout c'était passé si vite, je ne comprenais pas. Je sentais encore le sang de cet inconnu pulser dans chacune de mes veines, cela faisait délicieusement vibrer mon corps qui semblait envahit d'une puissance nouvelle et euphorisante. J'avais pratiquement l'impression d'être de nouveau normal, mais le prix à payer était une vie humaine. Une seule tous les six ou sept mois est suffisante à apaiser mes souffrances pendant ce laps de temps, je l'appris par la suite. Cela pourrait paraître horrible de tuer ces personnes, et sembler beaucoup de vies à sacrifier, mais le monde regorge tellement d'êtres abjects qu'il est aisé de les en débarrasser sans aucun remord, de plus, dans une aussi grande cité que celle-ci, cela passe totalement inaperçu.
Il marqua une pause puis me regarda droit dans les yeux et me redemanda:
- Me suivrez-vous dans cette vie de sang et de violence, mais où les mots amour et éternité prennent tout leur sens? Acceptez, je vous en conjure.
- Oui, je vous suivrai!


Chapitre XI



- En êtes vous bien sûre?
- Oui! Ma vie actuelle est si misérable, je ne peux en aucun cas en refuser une nouvelle, même si le prix à payer pour l'avoir est de commettre des meurtres, je peux concevoir une telle chose, cela ne me fait pas peur!
- Oh, j'en suis si heureux! Dans un premier temps, vous n'y serez, bien sûr, pas obligée, mais, que la perspective de le faire un jour ne vous répugne pas est réjouissante. Je savais que je ne m'étais pas trompé en vous choisissant, je me doutais que quelqu'un qui avait connu tant de souffrances pouvait accepter ce que je suis devenu mieux que quiconque. Je vous avais déjà entrevue plusieurs fois, mais n'avais point osé vous aborder, ne sachant pas si vous accepteriez l'idée d'un mode de vie si "différent" et très certainement répugnant pour certains. Mais, hier, je me suis dit que je ne devais plus attendre, que le moment était venu de briser ma solitude, j'ai donc acheté quelques provisions pour que vous vous sustentiez chez moi, c'était un moyen de vous rassurer également, avant de vous dire ce que j'étais, sinon, vous vous seriez enfuie immédiatement. Dit-il en esquissant un sourire.
- J'aurai peut-être eu peur, effectivement, si vous m'aviez annoncé tout de but en blanc, mais, quelque part, j'ai toujours cru en l'existence de créatures différentes des humains, donc cela ne me surprend pas tant que ça. J'ai également tant l'impression de vous comprendre, il est vrai que, si moi-même j'avais connu n'importe quel moyen de faire revenir mes proches, je l'aurai essayé sans hésiter, comme vous. Sans réfléchir un instant aux conséquences. On a tant envie que notre douleur s'arrête, rien ne pourrait nous en empêcher.
- Tout à fait, c'est exactement cela. Je suis comblé de joie! Vous savez, j'ai erré seul toutes ces années, passant mes nuits à contempler les étoiles, lire et relire indéfiniment les mêmes livres de la bibliothèque de mon père, ou à déambuler sans but dans les rues désertes par des nuits glaciales. Je me suis privé de presque entièrement tout contact humain, de conversations, de rires et de beauté, j'ai envie de redécouvrir le monde et de ne pas le faire seul. Je vous offre cette nouvelle vie, bien qu'elle ne soit pas parfaite, elle peut néanmoins devenir agréable.
- Je vous suivrez, mais êtes-vous sûr que je vais pouvoir devenir telle que vous? Et si cela ne marche pas?
- Sibylle m'a transmis sa maladie, si je puis dire, en me mordant, mon sang a été infecté par sa salive, c'est donc en vous donnant de mon sang que je pourrai vous la transmettre à mon tour. Evidemment, ce n'est qu'une supposition, il se peut que votre corps ne supporte pas la transformation, vous pourriez en mourir. Etes-vous prête à prendre ce risque?
- La mort ne me fait pas peur, je l'ai souhaitée si souvent sans avoir le courage de me la donner que je l'accueillerai avec joie, surtout si c'est vous qui me la donnez. Comment allez vous... procéder?
- Je vais vous mordre, boire votre sang presque entièrement, en vous laissant juste assez de force pour que vous buviez ensuite le mien, autant que vous le pourrez, pour que l'alchimie opère dans chaque parcelle de votre corps. Cela risque d'être douloureux, mais vous devrez être forte, pensez à survivre plus que tout! Pour vous... Pour nous... Ma tendre Constance.
Il prit son visage entre ses mains et l'embrassa tendrement, durant de longues et langoureuses secondes. Il s'interrompit, lui caressa ses longs cheveux soyeux et la regarda longuement dans les yeux.
- Comment connaissez-vous mon nom? Murmura-t-elle. Je n'ai même pas pensé à vous le dire, j'ai été si surprise par tout ce qui m'arrive.
- Je l'ai lu en vous, lorsque je vous ai remarqué, ainsi que votre tristesse. J'ai pu également développer ce don il n'y a pas très longtemps, au début je ne pouvais lire que les pensées des personnes dont je prenais la vie, puis cela s'est peu à peu étendu à d'autres individus. Je ne pensais pas que cela m'aurait été utile dans ma vie actuelle de semi-reclus, mais, lorsque je vous ai vue, j'ai été submergé par votre détresse et j'ai eu l'impression que votre âme m'appelait, comme si votre désir de mort avait aimanté la part morte en moi. Je vous ai tout de suite aimé. Cela peut paraître invraisemblable, mais c'est la vérité. Je sais qu'il en est de même pour vous n'est-ce pas? Je ressens vos émotions.
- C'est vrai, je l'avoue, tout chez vous exerce une irrésistible attraction sur moi, je suis comme envoûtée, vous êtes l'incarnation de tous mes rêves, l'Ange de la Mort, que j'ai tant invoqué, venu exaucer mes prières.
- Votre double immortel en ce monde d'infinie mélancolie.
- Absolument! Allez-y, emmenez-moi sans plus tarder danser avec vous aux Portes de la Mort.
- Parfait! C'est merveilleux! Suivez-moi donc en un endroit plus confortable alors. Dit-il en emportant un des couteaux qui se trouvaient sur la table. Puis, ils traversèrent le manoir et ses pièces somptueuses pour se retrouver dans le boudoir.
- Installez-vous. Lui murmura-t-il en lui montrant l'immense canapé en velours rouge, qui se trouvait à proximité de la cheminée en marbre, ornée de deux immenses candélabres en argent.
- Détendez-vous, je vous promet que cela va bien se passer.
- Je vous crois. Je suis toute à vous!
Elle lui tendit sa gorge, fraîche et palpitante, telle une source intarissable d'amour au goût irrésistible de sang.
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MessageSujet: A la sortie de l'opéra... Les 5 derniers chapitres ...   A la sortie de l'opéra... EmptyDim 8 Aoû 2010 - 17:02

Chapitre XII


Il enfonça tendrement ses dents dans sa chair si douce. La peau en se déchirant émit un bruit sec de craquement, elle gémit au même instant, décontenancée par la douleur fulgurante, remplacée en quelques secondes par une extase des plus langoureuses. Le flot de sang voluptueux commença à se déverser lentement dans la bouche de Grégoire. Il avait attendu ce moment si longtemps, il était à présent au-delà de ses espérances. Le sang de Constance était si capiteux, un véritable délice! Chaque gorgée faisait frissonner sa langue, parcourait langoureusement son gosier et se déversait dans son organisme, réchauffant petit à petit son corps, l'envahissant même d'une chaleur enivrante, telle une goûteuse liqueur. Puis vint le flot de pensées et souvenirs, encore plus déstabilisant que lorsqu'il avait lu en elle, chaque détail, chaque moment de solitude, de tristesse ou de bonheur lui apparaissait en éclairs continus à une vitesse telle qu'un vertige le saisit, il ne lâcha pas son étreinte pour autant, maintenant fermement ses bras autour d'elle, un autour de sa frêle taille, l'autre lui enserrant l'épaule, caressant sa nuque pour la rassurer. Il but pendant de longues, très longues minutes, leurs coeurs battaient à l'unisson, à tout rompre, ils ne faisaient plus qu'une seule et même personne. Elle sentait la vie s'échapper d'elle peu à peu, ses membres s'engourdissaient, sa vision fut floue et pourtant un immense bien-être l'envahissait, elle se sentait flotter, délivrée de tous les soucis terrestres. Elle n'avait plus du tout mal à l'endroit de la morsure, plus son sang la quittait, plus elle se sentait libérée et prête à renaître, à abandonner tous ses tristes soucis pour une vie d'amour et de sang nouveau. Tel était son destin, elle l'avait compris dès les premiers instants où elle l'avait vu, même si elle ne voulu pas l'admettre. Ils étaient enfin liés pour toujours. Elle devint de plus en plus faible, elle était au bord de l'évanouissement, pourtant elle tint bon et ne perdit pas conscience. Il relâcha alors son étreinte, la blessure béante de son cou ruisselait de gouttes rubis. La tenant toujours dans ses bras il prit le couteau resté dans la poche de sa veste et s'entailla le cou de l'oreille à la pomme d'Adam. L'estafilade, bien que semi profonde saigna abondamment, mais en quelques secondes le haut de l'entaille semblait déjà se refermer.
- Buvez! Vite! Mes blessures ne restent jamais ouvertes longtemps. Aspirez autant de sang que vous le pourrez. Elle s'approcha de la source écarlate, lécha timidement quelques gouttes. Le goût cuivré de son sang était allié à une saveur sucrée qu'elle n'arrivait pas à reconnaître, sûrement un des ingrédients du mystérieux élixir qui coulait dans ses veines, intimement mélangé à son sang. Dès que les premières gouttes pénétrèrent son estomac, un picotement se répandit dans ses entrailles, se transformant bientôt en brûlure interne des plus douloureuses. Elle ne voulut pas abandonner pour autant et colla ses lèvres sur la blessure qui se refermait à vue d'oeil et aspira avidement, goulûment, le sang délicieux et destructeur.


Chapitre XIII



Le corps de la jeune femme, rongé par la maladie, accueillit le sang miraculeux tel un douloureux remède, brûlant chaque partie souffrante de ses organes internes et les régénérant de chair neuve, mais avide de sang frais. Après avoir bu tout le sang que son estomac put contenir, elle tomba sur le parquet en se convulsant violemment. Grégoire la rejoignit pour l'aider, s'assit et lui maintint la tête sur ses genoux, lui murmurant des paroles réconfortantes. La douleur était insupportable mais elle voulait la surmonter, elle savait qu'elle pouvait être assez forte. Elle tint le coup durant de longues minutes qui lui parurent interminables. Puis les convulsions cessèrent d'un coup. Grégoire la souleva, la porta à bout de bras, l'amena dehors, à l'arrière de la bâtisse et la déshabilla. Elle se laissa faire sans rechigner.
- Pardonnez-moi de faire cela, mais votre corps va rejeter tout ce qui ne lui sera plus utile, vous allez être souillée. Je suis désolée de ne pas vous avoir révélé ce détail plutôt abject, mais ce n'est que passager, rassurez-vous.
Effectivement, quelques secondes après ses paroles elle vomit, non pas le sang qu'elle avait ingurgité, car il avait déjà imprégné chacune des parcelles de son corps, mais son propre sang, mêlé à des restes de nourritures et de chairs malades. Puis ses intestins vidèrent les mêmes déchets répugnants par ses orifices intimes. Elle était accroupie, sur l'herbe fraîche, seule douceur dans ce moment avilissant qui fut encore plus horrible à supporter que ses convulsions. Au bout d'une heure, ses interminables souffrances s'arrêtèrent enfin. Elle était au bord de l'évanouissement tant son corps s'était épuisé. Elle s'allongea dans la pelouse, à bout de forces, Grégoire enleva sa veste et, en bras de chemise, entreprit de la soulever de nouveau pour la porter jusqu'à la fontaine, au centre de l'immense jardin à la française, afin de nettoyer son pauvre corps malpropre. Il la plongea délicatement dans l'eau, tel un enfant qu'on baptise. Elle s'assit, l'eau lui arrivait sous le menton. La réconfortante fraîcheur de celle-ci apaisa son corps brûlant de la fièvre due à la transformation. Elle s'immergea entièrement pour effacer toutes traces de souillures. Il L'aida à se laver, passant amoureusement ses doigts sur son visage et dans ses cheveux. Sa température semblait déjà tomber grâce à la fraîcheur du liquide et de cette nuit automnale. La tête lui tournait, elle ferma les yeux un moment, puis, en les rouvrant sembla être dans un monde totalement nouveau. La vénus de pierre au centre de la fontaine semblait iridescente dans l'air nocturne, le jardin et la forêt au loin, qui lui avaient paru si sombre en arrivant à l'extérieur, se présentèrent presque aussi visible qu'en plein jour. Elle pouvait distinguer chaque détail et déclinaisons de couleurs des fleurs et branches alentours, autant que celles à plusieurs mètres de distance. Enfin, elle posa son regard sur Grégoire, sa peau lui semblait transparente et elle pouvait distinguer ses veines à travers celle-ci. Ses yeux, quant à eux, étaient presque totalement blancs et elle vit une sorte de fumée opalescente au fond d'eux. Puis, cette vision s'estompa en quelques secondes pour laisser place au visage cristallin sans une imperfection.
- J'ai vu... Je vois... Comme à l'intérieur de vous. C'est sublime et effrayant! Comment cela se fait-il?
- Vous vous êtes transformée, tous vos sens sont plus forts à présent, ainsi que votre corps. Vous apprendrez à maîtriser toutes ces nouveautés avec le temps. Comme vous venez de le constater, vous pourrez distinguer l'essence même d'une personne. Vous allez bientôt ressentir une faim des plus intenses, vous devrez déjà choisir de quoi vous nourrir. Vous pourrez commencer par des animaux comme je vous l'ai expliqué, sachant que vous serez plus faible , votre force et votre énergie seront diminuées, vous aurez une sensation permanente d'être affamée, mais vous pourrez vivre quelques années ainsi. Une vie humaine, à l'inverse, vous rassasiera plusieurs mois et vous procurera un semblant de vie qui vous régénèrera et vous apaisera. Je comprendrais qu'il vous faille du temps pour concevoir de tuer un humain, même si vous devrez absolument y venir un jour. Que décidez-vous?
A peine remise de sa transformation, elle devait déjà prendre une importante décision.
- Je ne veux pas être un fardeau pour vous. Je pourrai prendre une vie, cela ne me dérangera aucunement, et, Dieu sait que les personnes méritant la mort sont nombreuses, tout comme celles qui la souhaite avidement sans jamais oser se la donner. Je ne ferai que répondre à leurs prières!



Chapitre XIV



- Bien, dans ce cas suivez-moi.
Elle sortit de l'eau en bondissant, plus agile qu'elle ne l'avait jamais été. Nue, elle ne ressentait cependant aucune gêne, ni même la morsure du froid. ll lui passa le bras autour des épaules et déposa un baiser sur ses lèvres humides.
- Je vous ai attendue si longtemps. Vous êtes merveilleuse ainsi.
Les cheveux de Constance ruisselaient le long de son dos, son corps couvert d'un millier de gouttelettes étincelait dans la nuit. Il lui prit la main et la ramena à l'intérieur. Ils arrivèrent dans le hall puis prirent l'escalier. Les marches de marbre semblaient être l'entrée d'un immense mausolée, une allégorie de leur propre tombeau, qu'ils partageraient à tout jamais. Il lui fit découvrir la première chambre sur le palier.
- Je vais vous trouver quelques vêtements, il reste des robes ayant appartenu à Sibylle et à ma mère, même si elles ne sont pas de la dernière mode, elles sont très belles et je pense qu'elles vous siéront à merveille. Il se dirigea vers le coffre en chêne, à côté de l'immense lit à baldaquin recouvert d'un dais en velours violet, brodé de roses blanches. Le seul tableau ornant le mur était le portrait d'une superbe femme brune dont les cheveux ondoyaient sur ses épaules de nacre. Son délicat visage arborait une expression de bien-être si chaleureux qu'il paraissait vivant. Constance le fixa, s'attendant presque à voir la tendre poitrine se soulever en un souffle de vie. Les yeux de la peinture semblaient lumineux, plein de sagesse, mais elle eut l'impression qu'ils l'observaient, la jaugeaient, pour tenter de comprendre qui était cette intruse qui lui ressemblait tant.
- C'est déconcertant cette ressemblance, n'est-ce-pas? Lui dit Grégoire, la tirant en sursaut de sa contemplation.
- Il est vrai que c'est troublant, peut-être est-ce là le destin dont vous parliez, vous étiez forcé de nous rencontrer, nous, les deux sosies reflétant votre idéal.
- Vous êtes la preuve de ce destin! Dit-il en lui tendant une sublime robe de soie mauve aux reflets iridescents.
- Quelle merveille! S'exclama-t-elle, abasourdie.
- Je vais vous aider à la passer, après vous avoir trouvé un corset au fond de la malle.
- Non, ne vous embêtez pas, j'aimerai sentir le contact d'un si sublime tissu sur ma peau. Je n'ai jamais pu en porter de si beau.
- Je comprend. Dit-il, un sourire aux lèvres.
Elle passa la robe, il lui fit le laçage au dos, effectivement, elle lui allait aussi bien qu'une seconde peau, soulignant à merveille ses formes. Elle se contempla devant la psyché au coin de la pièce. Elle n'avait plus rien de la mendiante mourante qu'elle avait été, son visage n'avait plus aucune trace de la fatigue engendrée par sa maladie, elle resplendissait enfin, pour la première fois de sa vie. Sa peau n'avait plus aucune imperfection, elle était devenue aussi lisse et froide que celle de Grégoire, constata-t-elle en se touchant la joue. Sa chevelure s'était densifiée et parée de nouveaux reflets dorés, ses yeux s'étaient étrangement éclaircis, il n'y restait qu'une infime touche de vert pâle, noyée dans une opalescence surnaturelle, les rendant quasi transparent. Elle s'approcha du miroir pour mieux s'examiner en détail et être sûre qu'elle ne rêvait pas.
- J'ai vraiment du mal à croire que tout cela soit possible. C'est arrivé si vite que mon esprit n'a pas eu le temps de comprendre que tout ce que je vois est bien réel et pas un délire dû à un accès de fièvre. Je me sens tellement bien, c'est si enivrant! Dit-elle en virevoltant sur elle-même, jouant avec sa robe.
- Oui, je sais, vous vivez enfin! Dit-il en la rejoignant dans sa danse endiablée. Vous l'avez mérité, après toutes les souffrances que vous avez enduré. C'est une délivrance, mais n'oubliez pas qu'elle a un prix! S'exclama-t-il en interrompant leur valse.
- Je n'ai pas oublié. Dit-elle, en le fixant sérieusement dans les yeux. D'ailleurs, je pense que la faim va me tenailler d'ici peu, je la sens s'insinuer petit à petit au fond de moi. Un faible tiraillement, presque indécelable, mais, d'instinct, je comprend que c'est l'envie de sang qui vient de naître en moi. C'est encore supportable, mais j'ai l'impression que d'ici quelques heures cela va s'accroître.
- Oui, à cause de toute l'énergie qu'a demandé la transformation, la faim arrive très vite après celle-ci. Mais vous devez vous reposer d'abord, nous irons nous nourrir à la tombée de la nuit, le soleil ne va plus tarder à se lever, il faut rester à l'abri de la lumière. Nous pouvons demeurer dans cette chambre, j'ai condamné la fenêtre à l'aide de planches et les épais rideaux ne laissent pas filtrer le moindre rayon.
- Oh, c'est extraordinaire, je viens à peine de me rendre compte que nous étions en pleine obscurité, il n'y a aucune source de lumière dans cette pièce et j'y vois comme en plein jour!
- Oui, nous avons une vision nocturne extraordinaire, même meilleure que celle d'un chat, c'est ce qui nous sensibilise au soleil.
- La nuit est si belle, elle vaut tous les soleils du monde quand on la perçoit ainsi!
- Vous avez raison, cela nous suffit amplement à contempler la beauté. Installez-vous sur le lit, voulez-vous que je vous laisse vous reposer seule, pour que vous puissiez tranquillement reprendre vos esprits?
- En aucun cas! Venez vous blottir contre moi, j'ai besoin de vous avoir à mes côtés.
Il vint s'allonger près d'elle et ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre, enveloppés dans leur amour naissant.


Chapitre XV


Une douleur fulgurante au creux de l'estomac tira Constance de son profond sommeil. Elle comprit, au bout d'un moment, que c'était la faim immense, dûe à sa nouvelle condition, qui la taraudait. Elle crut, au début, que cette souffrance était encore celle de la maladie qui la rongeait, mais elle se rendit vite compte qu'elle était d'une nature différente, et tout lui revint instantanément en mémoire. Elle avait presque cru que tout ce qui lui était arrivé la veille n'était qu'un de ses nombreux rêves idylliques. Heureusement, elle ne s'éveilla pas contre quelque mur crasseux dans une rue fétide, mais auprès de son extraordinaire bienfaiteur, dans le lit moelleux d'une magnifique chambre. Elle s'aperçut que Grégoire n'était plus endormi, il la contemplait depuis un moment, une joie infinie marquant ses traits.
- La faim vous a réveillée? Lui demanda-t-il, en effleurant tendrement sa joue.
- Oui, elle me déchire les entrailles, comme si rien ne pouvait la soulager.
- C'est très intense je sais, mais venez, levons-nous. Nous allons y remédier sur le champ.
- Il fait déjà nuit?
- Oui, vous le ressentez?
- Effectivement, c'est comme une douce froideur qui m'enveloppe, une atmosphère étrange qui m'appelle. Il m'a semblé m'éveiller dans la journée, et, bien que je n'avais pas l'impression de savoir où j'étais, je ressentais une immense chaleur qui m'empêchait presque de bouger, pourtant je ne voyais aucune lumière, mais l'intensité du soleil au-dehors m'a donnée des vertiges et je me suis rendormie.
- Le jour n'est plus du tout fait pour nous à présent, notre corps n'y est plus adapté, il le ressent instinctivement, c'est pourquoi notre sommeil est en général des plus intenses, c'est presque une léthargie due au rayonnement solaire, qui nous prend dès les premières lueurs du jour, semblable à un avertissement, pour mettre notre corps à l'abri. Nous ne formons qu'un avec la nuit comme vous venez de le remarquer, elle nous appelle, c'est notre soeur silencieuse. Venez, nous allons nous y fondre et trouver votre premier repas.
Il alla vers le coffre, fouilla à l'intérieur et en sortit une cape à l'épais velours pourpre, doublée de satin blanc, avec une large capuche dont la bordure était de la plus fine des dentelles. Le fermoir sur le col était en argent ciselé, orné d'une améthyste de chaque côté. Il prit également des escarpins en soie et des bas d'une blancheur immaculée.
- Tenez, pour compléter votre tenue, si cela vous sied? Nous devons passer inaperçus, c'est pourquoi, même si nous ne ressentons point le froid, nous devons nous vêtir en adéquation avec la température ambiante.
- Je comprend, je serai d'ailleurs plus que ravie de porter ces magnifiques atours, c'est un vrai privilège, de plus leur coupe est intemporelle, je semblerai vêtu à la dernière mode. Lui lança-t-elle, avec un clin d'oeil.
- Se serait dommage de ne pas utiliser ces vieux vêtements, effectivement, donc, s'ils vous plaisent, n'hésitez pas à vous servir quand bon vous semblera, tout est à vous à présent! Vous pouvez même changer de robes si vous souhaitez en essayer d'autres, le coffre en contient au moins une demi douzaine, ainsi que divers accessoires. J'avoue, cependant, que celle que vous portez est ma préférée, elle met superbement vos yeux en valeur. Sibylle la portait lors de nos fiançailles.
- Vous êtes vraiment sûr que cela ne vous dérange pas que je la porte?
- Non! Pas le moins du monde voyons! Vous êtes sublime ainsi, cela m'attristerai que cette robe ne soit plus portée alors que vous la mettez si subliment en valeur.
- Vous me flattez beaucoup trop, je suis gênée.
- Vous ne devriez pas, votre beauté est rayonnante, encore plus à présent d'ailleurs, vous ne devez pas en avoir honte.
Elle s'approcha de lui et le remercia d'un baiser des plus langoureux.
- Je vous suis si reconnaissante pour tout!
- J'espère que vous le serez encore après cette nuit.
Ils sortirent de la chambre, se rendirent à celle attenante, ornée également d'un seul tableau, se trouvant au dessus de la sobre cheminée en bois, représentant les parents de Grégoire, à en juger par la ressemblance frappante de l'homme peint avec ce dernier, ils se trouvaient à l'orée d'une forêt, un sourire bienveillant illuminait leurs traits. Leur bonheur avait été figé à tout jamais. Le mobilier était simple, presque modeste, sans ornement, composé juste d'un lit en chêne et d'une armoire normande. Grégoire y prit de nouveaux vêtements, une veste de soie bleue et sa culotte assortie, une chemise au jabot de dentelle fine ainsi qu'une cape de laine noire ornée de la même attache en argent que la sienne. Il déposa le tout sur le lit et se déshabilla devant elle, nullement gêné par sa nudité, elle n'en fut pas offusquée, mais ravie de contempler son corps sublime, parfait, aux muscles saillants et à la peau d'une blancheur satinée. Elle semblait si douce qu'elle eut une envie irrésistible de la couvrir de baisers pour en éprouver la sensation sur ses lèvres. Son désir surpassant sa faim, elle s'approcha de lui alors qu'il allait enfiler sa chemise, elle effleura son torse de ses doigts, y déposa un baiser, et l'enlaça, caressant son dos. Surpris, mais vraiment ravi, Grégoire répondit à son étreinte en faisant courir ses doigts dans sa chevelure, Constance s'accroupit et entreprit de caresser son sexe, il poussa un soupir de contentement, mais lui prit la tête de ses mains, la releva, et lui dit:
- Souhaitez-vous vraiment poursuivre?
- Oui, plus que tout! Pourquoi? Ne pouvons nous pas avoir de relations intimes à cause de notre "état"?
- Non, nullement, et j'en suis des plus heureux, mais votre faim ne vous fait-elle pas souffrir? Ne voulez-vous pas vous nourrir avant?
- Si, elle me lamine les entrailles, mais je pense que je pourrai l'oublier le temps d'une étreinte, mon désir pour vous est si fort, il me fait presque oublier ma douleur et la rend supportable.
- Dans ce cas...
Il l'embrassa à son tour profondément, délassa sa robe qui tomba sur le sol, dévoilant ses seins voluptueux et son corps nacré. Il la couvrit de baisers, du cou au pubis, caressant ses seins, jouant avec les mamelons, elle était au bord de l'extase, il l'entraîna vers le lit, s'allongea au-dessus d'elle tout en continuant ses baisers fougueux, elle prit son sexe gonflé entre ses mains, le dirigea entre ses cuisses, puis ils firent l'amour de la manière la plus passionnée qui soit. Leurs sensations, décuplées par leur étrange condition, leur donna un orgasme au-delà de toute conception qui les fit vibrer pendant de longues minutes, tel une drogue surnaturelle aux effets électrisants. Revigorés par tant de plaisir, ils se sentaient prêts à braver le monde ensemble, à surmonter tous les obstacles imaginables.
- A présent, nous pouvons partir à la recherche de votre première proie.
- Tout à fait, je l'attend avec impatience! Pourrons-nous facilement nous emparer d'elle?
- Oui, ne vous inquiétez pas, vous aurez une sorte de force hypnotique sur vos victimes grâce à votre pouvoir psychique, mais, souvent, notre seule beauté suffit a faire accepter notre Baiser Mortel.
Ils se levèrent, se rhabillèrent et partirent se fondre dans la nuit, à l'affût d'une proie, en prédateurs qu'ils étaient.


Chapitre XVI



Ils n'étaient que deux ombres errantes, se mouvant aussi agilement que des félins, presque personne ne les remarquaient tant ils ne faisaient qu'un avec les ténèbres de cette nuit sans lune.
- Où désirez-vous aller pour cette première chasse?
- Je ne sais point encore, promenons-nous par cette magnifique nuit et laissons-nous guider par les pleurs de quelque âme suicidaire ou les pensées destructrices de quelque meurtrier.
- Dans ce cas, faites le vide dans votre tête, ne pensez à rien, les pensées de ces personnes viendront à vous tout naturellement, il suffit de le souhaiter.
Elle s'arrêta, ferma les yeux et se concentra. Une cacophonie lui emplit la tête tel le bourdonnement d'un millier d'insectes, puis, le bruit se fit plus précis, elle distingua quelques mots, puis des phrases, des choses insignifiantes que pensaient les habitants des maisons environnantes:
"où est le pain il faut que je dorme faisons l'amour quelle tenue mettre demain tu es si belle si belle je t'aime ne me quitte pas je suis si triste la vie n'a plus d'importance j'ai mal Dieu emportez moi j'ai mal mal mal mal..."
- Je les entend! C'est très déstabilisant, cela donne l'impression d'être un fantôme, guettant les vivants sans qu'ils ne puissent nous voir.
- Oui, c'est cela en quelque sorte, c'est comme si notre âme voyageait jusqu'à eux.
- Il me semble même vous avoir entendu.
- C'est fort possible. Dit-il en souriant. Je n'arrête pas de penser que je vous aime, et espère que vous ne souhaiterez pas me quitter après cette nuit. Dit-il, soucieux.
- Ne vous inquiétez pas, nous sommes liés pour l'éternité, pour rien au monde je ne laisserai mon bienfaiteur. Je vous aime aussi du plus profond de mon être!
- J'en suis si touché. Déclara-t-il, en la serrant dans ses bras. A présent continuons notre chemin. Avez-vous entendu une supplication qui vous convenait?
- Oui! Suivez-moi!
Ils continuèrent dans le dédale des rues sombres, revigorés par l'air de la nuit, ils étaient des plus heureux. Constance, euphorique, avançait en dansant et virevoltant, ses souliers cliquetant sur les pavés, semblable à quelque glas nocturne en faveur de leur future victime. Elle prenait de temps à autre Grégoire par les mains, l'entraînant avec elle dans ses arabesques. Puis, elle s'arrêta brusquement au détour d'une rue.
- Ecoutez! Cet endroit attire les âmes en peine! La musique les apaise quelque peu, mais, c'est malheureusement de courte durée.
Un flot de personnes sortait d'un immense bâtiment orné de piliers grecs sur la devanture, de statues d'anges sur le fronton, le tout couronné d'une immense coupole. Au bout de quelques minutes les gens disparurent dans des fiacres ou à pieds dans les ruelles alentour. Il ne restait plus qu'un jeune homme adossé contre un des piliers, vêtu de soie et de brocart aux reflets bleutés, il semblait malade, son teint était jaunâtre. Il fixait le ciel de façon désespérée, comme s'il attendait qu'un ange de la Mort vienne le prendre. Ils se rapprochèrent de lui et entendirent distinctement ses pensées: "Rappelez-moi à vous, Seigneur, je ne peux plus supporter la douleur de cette horrible maladie qui ronge mon corps, pitié, j'ai mal, si mal..."
Ils se placèrent chacun d'un côté de l'homme, il ne parut nullement surpris de leur présence, comme s'il s'attendait à ce qu'ils lui parlent.
- Vous souffrez atrocement, n'est-ce pas? Lui demanda Constance.
- Oui. Répondit simplement l'homme. Comment le savez-vous?
- Nous avons entendu vos prières, nous sommes là pour les exaucer.
- Réellement? Dit-il, soulagé.
- Oui, suivez-nous, nous allons vous donner la mort de la plus sublime et jouissive façon qui soit.
- Entendu, je vous en suis si reconnaissant, j'ai cru que mes prières ne seraient jamais entendues.
- Elles l'ont été, rassurez-vous.
- Vous êtes des anges de la Mort?
- Oui, tes anges de la Mort mon ami...

Constance et Grégoire prirent chacun l'inconnu par un bras, tous avaient l'air serein, un sourire illuminant leur visage. Puis, ils s'enfoncèrent dans la nuit, laissant l'opéra derrière eux...














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Fin.
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